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Attention collecteurs de fonds! Nous devons commencer à parler du lien entre les croyances religieuses et l’argent en philanthropie…

Nous remercions Susan Fish et Charity Village de nous avoir permis de reproduire cet article.

Un vieil adage nous conseille de ne pas parler de politique, d’argent ou de religion. On discute déjà beaucoup de politique, mais bien moins des deux derniers sujets et surtout de leurs liens étroits avec la philanthropie.

Selon Penelope Burk, experte en matière de collecte de fonds et présidente de Cygnus Applied Research cette omission est risquée pour l’avenir de la collecte de fonds pour les OBNL.

Au risque de contredire l’adage, nous avons pensé examiner le rôle important des donateurs croyants en philanthropie.

Le nouveau visage de la religion au Canada

En 2013, dans un panel du Globe and Mail sur l’avenir de la religion au Canada, le Dr Michael Higgins disait : « Ce que nous voyons, du moins au Canada, c’est une redéfinition du rôle de la religion sur la scène publique et une normalisation de l’idée qu’on peut avoir une vie spirituelle sans appartenir à une religion. » Un expert panéliste, le rabbin Howard Voss-Altman, confirme : « Les gens me disent qu’ils ont une vie spirituelle mais n’appartiennent pas à une synagogue ou à une église et ne s’engagent pas dans un projet charitable organisé. Ce faisant, ils n’établissent pas de liens plus concrets avec la communauté. »

Ces observations sont confirmées par la recherche : Le Pew Research Center, dans une étude sur la religion au Canada, constate que les variations régionales sont significatives et que le nombre de Canadiens qui appartiennent à des religions autres que le Christianisme compte pour 11 % (4 % en 1981), et que les Canadiens qui s’identifient comme catholiques sont passés de 47 % à 39 % au cours des quatre dernières décennies, alors que les protestants ont régressé de 41 % à 27 %.

Ce qui augmente, c’est le pourcentage de Canadiens athées, soit 24 % des Canadiens en 2011, avec une projection de 28,2 % et de 34,6 % d’ici 2036. Même parmi les croyants, il y a également un déclin substantiel d’engagement religieux au sein des religions.

Les données annuelles du Burk Donor Survey expliquent le déclin au sein des diverses affiliations religieuses comme étant essentiellement générationnelles : alors que l’étude ne fait pas de distinction entre les religions, il demande aux donateurs de s’identifier comme activement religieux, ayant une spiritualité, ou pas du tout religieux (athées). Dans le sondage de 2017, 36 % des donateurs les plus âgés étaient activement religieux comparativement à 27 % des donateurs âgés entre 35 et 64 ans et 20 % des donateurs ayant moins de 35 ans.

Pourquoi ces données sont-elles importantes pour les OBNL?

La plupart des OBNL ne tiennent pas compte des croyances de leurs donateurs, mais le travail de Burk suggère que selon que le travail d’un OBNL est « religieux » ou pas, celui-ci profite de la générosité des donateurs qui sont religieux et souffrira très probablement de la baisse généralisée et continue de conviction religieuse.

Comme Burk l’écrit : « Les donateurs qui sont croyants donnent beaucoup plus aux causes charitables que les donateurs qui se définissent comme « pas du tout religieux » ou « quelque part entre les deux ». Non seulement les croyants donnent plus. Ils sont aussi plus susceptibles de maintenir ou d’augmenter leur don dans une économie instable et aussi plus susceptible de faire du bénévolat et surtout au niveau du leadership. De plus, leur engagement ne se limite pas à soutenir leurs propres institutions religieuses ; les donateurs religieux donnent généreusement dans plusieurs domaines : l’éducation, les soins de santé, les services sociaux et les arts. » Par exemple, l’enquête la plus récente de Burk montre que 33 % des donateurs activement religieux ont soutenu 11 causes ou plus en 2016 comparativement à 23 % pour les athées et 22 % pour les donateurs « spirituels ». De plus, 54 % des donateurs qui ont donné plus de 10 000 $ étaient activement religieux.

Dans un article de Macleans, Michael Wilkinson, un sociologue spécialisé en religion à Trinity Western University, explique ainsi ce phénomène : « Cela fait partie de leur système de valeur. Ils sont motivés pour donner. Ils sont convaincus de faire quelque chose d’important pour la communauté. Ils croient qu’ils font partie de quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. »

Mais les religions font plus que motiver les personnes à donner; elles leur enseignent et leur rappellent de donner. Burk indique : « Le domaine philanthropique a une dette morale envers les établissements religieux parce qu’ils enseignent la fraternité humaine et l’importance d’être bons. »

Un article du Globe and Mail indique : « Il y a bien peu de moyens plus efficaces que la quête hebdomadaire dans les églises pour inciter les personnes à donner. Les donateurs sont captifs sur les bancs, viennent d’entendre un sermon sur la générosité et sont entourés d’une communauté de donateurs aux croyances similaires qui sont des exemples les uns pour les autres. »

Le même article sonne alarme : « Au moment où les établissements traditionnels de la foi au pays perdent des membres, le Canada perd aussi certains de ses donateurs les plus généreux, ceux qui ont appris depuis la messe hebdomadaire, cette école du dimanche, ou bien avant leurs mitzvahs, à déposer une obole dans le panier. »

Si le nombre de donateurs « religieux » décline peu à peu qui les remplacera? Pour le savoir, nous nous sommes tournés vers une catégorie d’OBNL qui vit ces changements démographiques de près.

Être fidèle à sa mission

Pour les organismes religieux, une diminution du nombre de donateurs religieux pourrait les inciter à diluer la teneur religieuse de leur message. Burk souligne cependant l’intérêt des organismes de rester fidèles à leur identité. « Je fais confiance aux organismes religieux qui n’essaient pas de camoufler leur identité pour obtenir plus de dons. Ils disent : ‘‘ C’est ce que nous sommes. Si vous voulez vous joindre à nous faites-le. Sinon, ne le faites pas.’’ »

Rick Cober Bauman, directeur général du Comité central mennonite du Canada (CCMC) précise : « Nous sommes clairs avec nos partenaires, nos bénévoles et nos donateurs sur ce que nous sommes et nous n’avons aucune intention de nous éloigner de notre identité et de notre mission. En même temps, nous essayons d’inciter à la générosité ce que nous appelons la communauté canadienne compatissante, qu’elle appartienne ou non à une foi. Nous croyons qu’il est important de définir clairement qui nous sommes mais aussi de faire appel à une plus large communauté d’engagement. »

En 2015, du jour au lendemain, le CCMC a été contacté par des personnes hors de la communauté qui cherchaient à créer un partenariat.

« Nous avons travaillé à créer une expérience accueillante pour tous les Canadiens qui voulaient agir avec compassion », indique Cober Bauman. Il ajoute : « Je peux penser à au moins une personne hors de notre communauté qui s’est impliquée à fond et qui est maintenant un donateur important dans un secteur non relié au soutien des réfugiés. Nous avons expliqué à ces nouveaux supporteurs qui nous sommes, ce que nous faisons et les avons invités à s’impliquer à nos côtés. »

Stimuler le dialogue interreligieux

Il faut aussi encourager les croyants à s’impliquer. En tant qu’initiative de Canada150, Habitat for Humanity GTA a décidé de s’adresser à une variété de communautés de foi. Un dialogue s’est engagé entre le président de l’organisme et le rabbin Baruch Frydman-Kohl amenant le rabbin à agir en tant qu’ambassadeur de l’organisme, recrutant d’autres rabbins dans son réseau pour participer à un projet commun, invitant divers présidents et entreprises à commanditer le travail d’Habitat for Humanity au sein d’un groupe de travail interconfessionnel. Une initiative similaire a été répétée auprès de divers groupes musulmans qui ont renouvelé leur participation avec l’organisme étant donné son aspect multiconfessionnel.

Les organismes non religieux peuvent aussi s’appuyer sur l’héritage religieux ou la motivation spirituelle de supporteurs potentiels. Paul Nazareth, vice-président, engagement dans la communauté chez Canada Helps propose que les organismes puissent emprunter le langage et les idées des communautés croyantes pour faire appel à des donateurs potentiels. « Les organismes de charité peuvent en apprendre beaucoup sur la façon dont les organisations religieuses ont fonctionné en termes de stratégies. » Le champ est vaste, qu’il s’agisse d’encourager une communauté religieuse ou des organismes environnementaux à voir leur engagement environnemental comme l’expression de leur spiritualité, ou des organismes de défense des animaux à parler de leur relation familiale aux animaux de compagnie.

D’autres organismes font appel à un héritage religieux. Parmi les collecteurs de fonds de la Fondation de l’Aga Khan, il y a de jeunes parents qui disent : « Nous ne prions pas aussi souvent que nos parents mais notre engagement est une façon très simple de permettre à nos enfants de comprendre nos valeurs. »

Créer de nouveaux véhicules pour l’éducation

« Les collecteurs de fonds professionnels n’ont pas eu à faire 100 % du travail d’éducation parce que la religion a fait une partie du travail en philanthropie », précise Burk. « Nous devons nous demander quel enseignement religieux est en action actuellement et ce que nous pourrions perdre. La question est : comment faire la même chose mais en dehors de la religion elle-même. »

L’éducation peut se faire de bien des façons. Nazareth souligne le travail d’Abundance Canada en tant qu’organisme qui fait de l’éducation au-delà de sa base traditionnelle. Burk note qu’au cours de la dernière décennie Sesame Street a commencé un programme de littératie financière qui place le don parmi ses priorités. Burk suggère également que les grands OBNL tels que Centraide ou les YWCA puissent jouer un rôle éducatif dans leur communauté.

Paul Nazareth croit que les organismes religieux et le gouvernement fédéral ont tous deux un rôle plus important à jouer dans l’éducation à la philanthropie : « Nous devons sensibiliser davantage les gens à la philanthropie dans les lieux de culte, leur montrer comment donner, quels sont les avantages et comment donner mieux. » Du côté du gouvernement, Nazareth réclame une initiative nationale afin de mieux expliquer les avantages des reçus pour crédit d’impôt.

Sortir des chemins battus

Au début, les bénévoles et les donateurs de la Fondation Aga Khan Canada provenaient surtout de la communauté musulmane Ismaili, mais l’organisation a décidé de s’adresser à un public plus large en tant qu’organisme non confessionnel. Shakeel Bharmal, chef des opérations, précise : « Nous avons décidé de ne pas solliciter les membres au sein de la communauté. Au lieu de cela, nous avons demandé à nos membres de constituer la base de notre stratégie de collecte de fonds de pair-à-pair, en décrivant ce que nous faisons et pour inciter leurs amis, voisins et collègues à s’engager dans nos campagnes et travailler ensemble. » Cette stratégie a eu beaucoup de succès avec une augmentation de 50 % des milieux de travail qui collectent des fonds entre 2016 et 2017 et une augmentation de 26 % des personnes qui collectent des fonds dans des groupes sur le lieu de travail.

Un autre groupe employant une approche créatrice dans la collecte de fonds est l’Église unie du Canada. Les ministres de l’Église ont reconnu que plusieurs de ses congrégations sont « riches en propriétés mais pauvre en argent comptant » et « qu’elles font face à une baisse de fréquentation, des fonds moindres et des dépenses croissantes. » Plutôt que de paniquer et de fermer des églises, le groupe a consulté ses congrégations pour proposer des solutions comme transformer des églises en centre communautaire ou artistique, créer des partenariats avec des entreprises sociales qui offrent un revenu, ou alors de mieux utiliser les ressources existantes et encourager un rapprochement avec la communauté et d’autres OBNL.

Reconnaître des faits fondamentaux

En conclusion, cela peut sembler paradoxal, mais les organismes qui ont profité de la générosité des donateurs religieux pourraient voir une augmentation provisoire des dons à mesure que ces personnes « influencées par la religion » lèguent leurs biens. Le Comité central mennonite, par exemple, célèbrera son 100e anniversaire en 2020, après avoir débuté en amenant des réfugiés ukrainiens en Amérique du Nord. Plusieurs de ces membres et leurs enfants ont été des donateurs toute leur vie durant. Cober Bauman indique : « Nous avons une base diversifiée de collecte de fonds mais nous invitons ces personnes à inclure notre organisme dans leur testament. »

« J’aime croire que la générosité et la gratitude font partie de l’humanité », conclut Bharmal. « Même si vous ne croyez pas en Dieu ou si vous ne priez pas régulièrement, il est encore possible d’être connecté à notre humanité. Cela prend plus de travail pour éveiller les consciences et enseigner comment faire le bien mais cela est certainement possible. »

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Susan Fish est auteure et rédactrice à Storywell une entreprise qui aide les individus et les organismes à bien raconter leur histoire. Elle a écrit pour le secteur des OBNL pendant plus de deux décennies et adore toujours une bonne histoire.

Note : Nous nous assurons que tous les hyperliens et courriels sont valides à la date de publication mais la nature évolutive d’internet implique que quelques liens et courriels pourraient avoir changé.